Le Principe de Prudence

voir le dossier Tribune Libre

A un jour près, il y a exactement une année qu'une vache, pas folle du tout selon les apparences, montait sans qu'on ait eu besoin de l'y porter sur une civière dans le camion qui allait l'amener à l'abattoir…


La gestion des avatars récents dans l'alimentaire ( "Bouffée épidémique de listériose", "Crise de la vache folle" ) montrent à posteriori à quel point l'utilisation du "principe de précaution" dans les motivations de la politique à mettre en place a dévoyé la nature même d'un concept apparu au cours des années 1980 à l'occasion des débats relatifs aux problèmes internationnaux d'environnement et consacré lors de la Conférence de Rio en 1992.

Il est vrai que "l'affaire du sang contaminé" et le sort réservé aux décideurs en charge du dossier à l'époque a été pour beaucoup dans la manière dont les Français ont perçu les recommandations de l'Agence Française de Sécurité des Aliments (l'AFSSA).

Dans leur excellent rapport au Premier Ministre sur le "Principe de Précaution", Kourilsky et Viney énoncent les "10 commandements de la précaution". Je n'en retiendrai que les 6 premiers et le 10ème :

1) Tout risque doit être défini, évalué et gradué ;

2) L'analyse du risque doit comparer les différents scénarios d'action et d'inaction ;

3) Toute analyse de risque doit comporter une analyse économique, qui doit déboucher sur une étude coût/ bénéfice préalable à la prise de décision ;

4) Les structures d'évaluation des risques doivent être indépendantes ;

5) Les décisions doivent être révisables et les solutions adoptées réversible s;

6) Sortir de l'incertitude impose une obligation de recherche ;

10) Le public doit être informé au mieux et son degré de participation ajusté par le pouvoir politique.



Il me serait facile de démontrer que, tant dans "l'Hystérie des listeria" que dans la génèse de la "Crise de la vache folle", les "recommandations" de l'AFSSA ainsi que leur diffusion dans le public par allusions médiatisées et par conférences de presse, organisées avant même que les autorités compétentes aient eu à se prononcer, ont transgressé ces règles édictées par le bon sens.

L'un des objectifs majeurs de la précaution est de prévenir les crises, pas de créer le terreau sur lequel elles vont se développer, ni à fortiori d'être l'étincelle qui va provoquer l'explosion. Et en la matière, la prudence élémentaire voudrait que l'on mît en application soi-même le principe de précaution avant de se décider à l'utiliser pour justifier une politique préconisée ou décidée.

En dehors du fait que, trop souvent, les décideurs soient enclins à prendre des initiatives contraires à leurs intimes convictions, en raison de l'attitude du public mal informé, pour ne pas dire désinformé, par des médias avides de sensationnel.

Cela nous mène aux situations ubuesques dans lesquelles nous nous trouvons, par défaut d'évaluation correcte d'un risque problématique ou hypothétique par des responsables manquant de compétence ou de vue à moyen terme, en raison de l'absence d'information objective des consommateurs inquiets pour leur santé : des dizaines de milliers d'éleveurs ruinés et contraints d'arrêter le métier, qui est leur seul gagne-pain bien souvent, des centaines de milliers de tonnes des farines de viande stockées sans perspective de les voir éliminées jamais, la destruction d'un patrimoine fromager unique au monde, etc...

A la lumière des catastrophes qui ne se sont pas produites, ne serait-il pas venu le temps de la "révision" et de la "reversabilité" ?

Auteur : Maurice Legoy, Docteur-Vétérinaire
Dernière modification : 09/10/01